8.2 - Ceux que la chance a trahis

Nombreux, malheureusement, sont les cas de victimes qui sont mortes faute d'un tout petit coup de pouce de la chance. Sous la neige, un disparu, même en vie et non blessé, est toujours «potentiellement mort» tant qu'il n'a pas été retiré de sa prison. C'est un fait inexorable dont il faut bien se pénétrer. Nous ne citerons, pour en persuader le lecteur, que quelques cas, sans nom ni lieux, d'inconnus ou d'amis qui ont perdu leur vie faute de ce petit coup de pouce de la Providence, victimes d'un malheureux concours de circonstances.

 

Le guide est devant. comme il se doit. Le col a été passé sans problème, le gîte d'étape serait en vue si le brouillard ne masquait la visibilité. Sans repère, le guide passe en pied de combe un peu trop haut et une petite avalanche se déclenche, l'emporte et finalement le recouvre complètement. Les clients, le moment de panique passé, organisent la recherche. C'était avant l'époque des ARVA. Bientôt retrouvé, il est retiré de la neige exsangue. Fort heureusement, dans le groupe il y a une personne du corps médical qui pratique avec succès la réanimation. Les secours ont été prévenus et bientôt l'hélicoptère arrive pour transporter la victime à l'hôpital. Pour quelle raison la réanimation est-elle interrompue quelques instants ? Bien que le trajet fût très bref, les médecins de l'hôpital ne purent rendre la vie au guide.

               

C'est la première neige, celle qui tombe en novembre. Et il est dur de résister à l'appel des cimes sous le merveilleux soleil des Alpes du Sud. Ils sont quatre, tous excellents skieurs. La combe terminale est couverte de 40 centimètres de neige fraîche qui n'adhèrent pas au sol. Le malheur veut qu'aux premiers virages tous soient plus ou moins ensevelis dans l'avalanche qu'ils viennent de déclencher. La nuit tombe et aucun n'est capable de s'en sortir tout seul. Les secours, alertés par les familles inquiètes, les découvrent au matin, sans vie. Ils étaient quatre excellents connaisseurs de la montagne, et c'était la première neige.

               

Ils sont trois pour fêter le réveillon en refuge, lui, le professionnel de la montagne initiant deux personnes de sa famille. Le temps est absolument désastreux, la tempête souffle, la neige vole en rafales. Le bivouac est décidé, à quelques centaines de mètres du refuge que personne serait bien incapable de retrouver dans de telles conditions. Il bâtit un igloo avec maestria, fait un repas chaud et réconforte ses coéquipiers que le mauvais temps a éprouvés. Au matin, la tempête souffle toujours mais notre ami sait où il se trouve et commence à tracer dans la neige profonde. C'est alors qu'une avalanche de moyenne importance, vraisemblablement déclenchée par des skieurs gagnant le refuge, le submerge et le recouvre complètement. Seul son sac émerge de la coulée. Un de ses compagnons est pris jusqu'aux genoux, l'autre est indemne mais fortement choqué. Il faut un grand moment pour dégager celui qui est à moitié enseveli. Celui qui est choqué n'a qu'une idée en tête, fuir cet enfer, descendre à la vallée chercher des secours. Ils essayent de tirer sur le sac dont une des bretelles casse. Complètement en état de choc, ils ne réalisent pas que leur compagnon est à quelques 20 ou 30 centimètres sous la neige et qu'en moins de dix minutes, ils peuvent le dégager. Ils ne pensent pas non plus à demander du secours aux voix qu'ils entendent dans la brume. Ils n'ont qu'une idée fIxe : fuir au plus vite, déclencher les secours. La panique du plus jeune se communique au rescapé qui se persuade que le salut est dans la vallée. Comment réaliser dans l'état mental où ils se trouvent qu'il leur faut, même dans de très bonnes conditions, plusieurs heures avant que les sauveteurs soient sur place ? Comment réaliser que la descente condamne presque certainement le disparu ?

Environ cinq heures après l'accident, épuisés ils arrivent au poste de secours. Mais leurs souvenirs du lieu de l'accident sont flous, et le Secours en Montagne est mobilisé de toutes parts car de nombreuses personnes sont en diffIculté dans le massif. Une tentative est faite pour rallier l'avalanche en engin à chenilles, mais les rescapés ne peuvent reconnaître les lieux. Pendant ce temps, l'enseveli qui n'a pas perdu ses esprits, réussit à creuser une cheminée dans la neige qui lui pennet de mieux respirer. Cet ami, compagnon d'expéditions lointaines, a dû rester confiant de longues heures et attendre avec espoir les secours. Comment pourrait-on le laisser là, à quelques centaines de mètres d'un refuge qu'il connaît particulièrement bien, sur une montagne qu'il fréquente depuis l'enfance ? Il sait qu'il est sous 20 cm de neige, mais à plat ventre écartelé par ses skis et bâtons, il ne peut rien faire. Il sait que l'air libre est au bout du tunnel qu'il a patiemment creusé avec ses mains nues. C'est confiant qu'il doit s'abandonner à la fatigue et au sommeil. Mais la tempête dure plusieurs jours et lorsque l'hélicoptère arrive, sa vie s'est éteinte depuis quelques heures.