1.3 - Les différents types d'avalanches
Mais les divers éléments qui caractérisent une avalanche peuvent évoluer au cours de sa descente. Par exemple, la neige dans la zone de départ peut être d'une certaine nature (pulvérulente, compacte) et la neige de la zone de dépôt d'une autre nature (mouillée, béton). On comprend aisément que réduire les avalanches naturelles à des modèles simples sera souvent (légèrement) inexact.
Malgré cette restriction, il est bien utile d'avoir des idées simples et claires en ce domaine. Nous allons présenter une classification des avalanches qui fait appel au type de neige dans la zone de départ (nature des cristaux de neige en rapport avec l'évolution du manteau neigeux). Un deuxième critère sera la dynamique de l'avalanche, c'est à dire la forme de l'écoulement de la neige en mouvement pour celui qui l'observe.
Avec ces critères, on distingue trois types d'avalanches : l'avalanche de neige pulvérulente (modèle «sucre en poudre»), l'avalanche de plaque (modèle «biscotte») et l'avalanche de neige humide (modèle «yaourt»). Ces amusantes références culinaires ont l'avantage de bien caler les idées et simulent assez bien les écoulements. Ces modèles sont en tout cas très appréciés des jeunes skieurs (et aussi des journalistes !) qui ont ainsi des repères commodes.
Les avalanches de neige pulvérulente
Caractéristiques
La neige dans la zone de départ est froide (température assez nettement en dessous de zéro degré), sèche (pas d'humidité car la neige est trop froide), de densité faible (de l'ordre ou inférieure à 100 kg/m3 ). C'est de la neige fraîche, formée de particules reconnaissables, s'étant peu transformées. Pour le skieur, c'est une belle poudreuse agréable à skier à condition qu'il n'y en ait pas une trop grande quantité.
C'est justement quand il y en a beaucoup que cette neige donne naturellement des avalanches dites de «poudreuse». Ce sont des avalanches généralement catastrophiques, de grande ampleur, sévissant sur de grandes dénivellations, et à caractère exceptionnel. Elles dévalent versants ou couloirs à des vitesses impressionnantes, largement supérieures à 100 km/h. On a déjà chronométré de tels bolides à plus de 400 km/h. (soit plus de 100 m/ seconde !). A de telles vitesses, la neige poudreuse se mélange avec l'air ambiant et forme ce que les scientifiques appellent un aérosol (c'est un «gaz lourd» de densité très faible puisqu'on l'estime à quelques 5 à 10 kg/m3 soit 10 à 20 fois plus léger que la neige de départ). Cet aérosol est pratiquement sans interaction avec le sol et le relief et va ainsi foncer tout droit en ignorant les couloirs ou les talwegs (on peut noter la ressemblance avec les nuées ardentes des volcans formées de cendres à plusieurs centaines de degrés). A noter encore que devant cette avalanche, l'air ambiant qui n'est pas en mouvement, est brutalement compressé puis entraîné et incorporé à l'avalanche. On parle parfois d'«onde de choc» , terme incorrect scientifiquement car il ne s'agit que du choc de l'avalanche dans l'air ambiant. On a déjà vu des ponts se faire souiller par des poudreuses (par exemple à Bonneval sur Arc en janvier 81 le pont de 250 tonnes a été déplacé de 40 mètres).
Que faire ?
Devant de telles avalanches, on ne peut pas faire grand chose. Heureusement, les skieurs ne sont pas dehors lorsque les conditions sont propices aux poudreuses, la montagne étant désertée et les routes bien souvent coupées. Il y a en général un mètre de neige fraîche et l'indice de risque est à son maximum (voir l'échelle de risque d'avalanche fiche n° 2.1). Mais il est possible en raid de se faire piéger par une longue période de mauvais temps qui amène ces conditions. Si, comme cela se produit parfois, l'évacuation n'est pas opérée par hélicoptère, il faudra alors descendre avec la plus extrême prudence ou attendre quelques jours que la neige se tasse et que les avalanches qui veulent descendre, descendent.
Les avalanches de plaque
Description
La neige de ces plaques est compacte, formée de «grains fins» souvent apportés par le vent et soudés en plaque (plaque à vent liée au relief, voir la fiche n°1.2). Cette neige est assez dense, de l'ordre de 300 à 350 kg/m3, d'une température négative ou voisine de zéro degré. La plaque est une structure rigide, peu déformable mais fragile. Ainsi, lorsqu'elle est soumise à une contrainte (poids d'un ou plusieurs skieurs le plus généralement), la plaque qui repose sur des ancrages en bordure de couloir, transmet la sollicitation et peut se briser si les points d'appui ne sont pas assez résistants. Elle se brise en un éclair car la vitesse de propagation de la sollicitation mécanique est de plusieurs centaines de mètres par seconde dans les solides. Une fois la plaque brisée, les blocs vont descendre la pente entraînant ceux qui l'ont déclenchée (on retrouve assez souvent des chamois ensevelis). Si la pente est raide, les blocs vont se briser et on peut même avoir un nuage de poudreuse lorsque l'avalanche saute des barres. Si la pente n'est pas raide, les divers morceaux de la plaque peuvent se translater sans se chevaucher, au grand soulagement des skieurs emportés.
La cassure de cette avalanche est très caractéristique, taillée au couteau perpendiculairement à la pente et souvent surplombante, haute parfois de plusieurs mètres (record en Alaska avec 7 mètres). A l'observation on remarque que l'épaisseur de la cassure peut varier énormément, mettant en évidence les points faibles de la plaque qui est le plus souvent ventrue au centre de la combe.
Les vitesses atteintes par ces avalanches de plaque sans être importantes ne sont pas négligeables, surtout vis à vis de la vitesse d'un skieur. Elles sont de l'ordre de 50 km/h. et le danger provient soit de l'ampleur du phénomène (dénivelée, volume de neige en mouvement), soit des précipices dans lesquels elles se déversent.
Il ne faut pas sous-estimer l'importance que peuvent avoir certaines plaques, constituées dans des conditions certes particulières. A titre d'exemple, rappelons que l'avalanche de La Mongie, en février 1976, avait plus d'un kilomètre à la cassure et celle de Clavans en Oisans, le 20 janvier 1981, dépassa les deux kilomètres !
Localisation et constitution des plaques
Comme nous l'avons déjà dit, l'emplacement de ce piège perfide qui provoque 80% des accidents d'avalanche n'est pas quelconque: il est toujours lié au relief et aux expositions balayées par les vents ayant soufflé durant la période de formation. Un vent moyen (25 à 30 km/h ) actif pendant une demi-journée est suffisant pour créer une plaque. Il en est de même pour un vent plus violent de 60 km/h qui produira le même résultat en une heure ou deux.
Le processus de formation de ces plaques à vent est le suivant : la neige mobilisée par le vent, qu'elle soit déjà au sol ou en train de tomber, est très rapidement transformée en grains fins par le violent traitement que le vent lui inflige. Lorsque le relief forme obstacle (crête, col, épaulement), le vent s'accélère, augmentant le transport. Quelques grains de neige peuvent, par projection, se souder et former une petite plaque dite «au vent». Plus généralement, on observe une érosion de la neige en place qui devient dure et glacée. Après le passage de l'obstacle, la vitesse du vent diminue, et bien souvent n'est plus suffisante pour véhiculer la neige : celle-ci précipite, les grains se soudant entre eux par frittage. On a alors la naissance d'une plaque à vent.
Les plaques friables
Signalons qu'il existe des plaques «friables», qui sont des plaques produites par la compression de la neige récemment tombée. Les cristaux de neige ne sont plus des grains fins mais des particules reconnaissables et la neige est beaucoup moins compacte. Néanmoins la cassure de l'avalanche est de même forme. Une fois en mouvement, ces avalanches s'apparentent plus à de petites avalanches de neige pulvérulente, car les blocs de la plaque se désagrègent rapidement, et la neige devient inconsistante.
Que faire ?
Pour le skieur, la meilleure prévention sera de détecter les zones susceptibles d'être des plaques à vent. Au débouché d'un col ourlé d'une corniche, on peut être sûr de trouver une plaque, et de toute façon il faudra redoubler de prudence. On dit souvent que la neige des plaques est plus mate, moins glissante ou farineuse. Ces indices devront mettre en alerte le skieur, mais dans certains cas, une couche de neige fraîche tombée sans vent cachera le piège. Et alors seule une grande habitude liée à une bonne lecture du terrain permettra d'y voir clair. A l'approche des crêtes on sera toujours suspicieux. surtout si le vent a soufflé dans les semaines précédentes. Car la plaque peut subsister des mois, la fonte étant pratiquement la seule transformation capable de la neutraliser.
Les avalanches de fonte
Pour le skieur, ces avalanches sont les moins redoutables. En effet, elles se produisent la plupart du temps au printemps, sur des trajets bien connus et lorsque le rayonnement solaire a bien réchauffé le manteau. Néanmoins, lors d'épisodes de pluie en altitude ou de fort redoux, de telles avalanches peuvent se produire et se déclencher en plein hiver.
Caractéristiques
La neige au départ est toujours humide et donc à zéro degré. Les cristaux sont des gros grains de fonte, sauf lorsqu'il s'agit de neige fraîche (redoux hivernal ou neige récente de printemps et d'été), où l'on note des particules reconnaissables. Durant la nuit, la neige est soudée par le gel. Dans la Journée, le soleil va la réchauffer, et elle va descendre en coulée de faible importance ou parfois en colossale avalanche. Tout dépend de la quantité de neige qui est mobilisable.
Cette masse de neige qui avance tel un bulldozer bousculant tout sur son passage suit toujours le relief en ses points bas (couloir, ravin, talweg, combe, creux de versant). Il n'y a jamais de surprise quant à son itinéraire. Sa vitesse est généralement faible (quelques dizaines de km/h.) surtout dans la zone de dépôt où elle peut aller moins vite qu'un homme à pied. Ceci est dû à la très forte interaction qu'elle a avec le sol car cette avalanche glisse en rabotant le terrain. On notera quand même que si le couloir est très pentu, la masse de neige peut prendre de plus grandes vitesses et être brassée avec violence. C'est ce que l'on observe pour les grosses avalanches de printemps, comme celle de la Combe d'Orny sur la fameuse «Haute Route» Chamonix-Zermatt.
Que faire ?
Dans le cas de redoux hivernal, mieux vaut ne pas sortir. Les conditions de neige sont épouvantables et les risques importants.
Au printemps, la prudence impose de rentrer avant les heures chaudes de la mi-journée. De plus, la neige est très lourde à skier et si l'on est trop en retard, il est souhaitable de renoncer au sommet. Tout est une question d'horaire : avec des skieurs trop lents, il est préférable d'abandonner le sommet au profit d'une bonne descente en neige transformée. Un groupe peut se trouver piégé par un impondérable (blessé à descendre en traîneau): en ce cas, on aura soin de ne pas rester dans un passage présumé d'avalanche. Il existe souvent des indices (inscrits dans la végétation ou sur le terrain), signalant les itinéraires de ces avalanches de neige lourde. Dans l'obligation de rester là (personne accidentée à évacuer), on placera un guetteur chargé de donner l'alerte (sifflet).
On notera que dans la première colonne, il y a une notion de temps qui traduit l'évolution de la neige (particules reconnaissables puis grains fins et enfin gros grains de fonte). Pourle modèle «sucre en poudre», il n'y a d'avalanche qu'avec la neige fraîche alors que pour le modèle «biscotte» on peut avoir des plaques friables (neige fraîche) et surtout des plaques (dures) à vent (grains fins). Pour le modèle «yaourt». les avalanches sont presque toujours de fonte (grains de fonte) mais on peut aussi avoir des avalanches de neige fraîche (particules reconnaissables).
LE MÉCANISME DE DÉCLENCHEMENT DES AVALANCHES
Pour quelles raisons le manteau neigeux devient-il instable provoquant une avalanche ? Quelles sont les lois (subtiles dans le sens propre du terme !) qui régissent ces équilibres ?
Prenons un morceau de neige, composant le manteau neigeux, et regardons à quelles forces il est soumis. Le schéma ci-joint nous aidera à y voir plus clair. Deux forces antagonistes agissent sur le morceau de neige : la pesanteur exerce une force dans l'axe de la pente, qui a tendance à tirer la neige vers le bas. Cette force (la composante de la pesanteur dans l'axe de la pente) explique la reptation de la neige, ce lent mouvement de quelques centimètres par jour, provoquant des fissures et déchirures pouvant aboutir à un départ d'avalanche.
Une seconde force contrecarre la première, résultante des divers forces qui rendent la neige cohérente et lient le bloc aux manteau neigeux en place et au sol. C'est une force de cohésion. On peut dire qu'il y a équilibre si la force de pesanteur est la plus petite. Si c'est l'inverse, alors le manteau neigeux est instable, et l'avalanche devient potentiellement possible. Dans la réalité, il existe deux manières de générer une situation instable : augmenter la force de pesanteur ou diminuer la force résistante de cohésion.
Voici les facteurs qui vont modifier cet équilibre.
Augmentation de laforce de pesanteur
Elle peut être naturelle (chute de neige, pluie ... ) ou accidentelle (passage d'un skieur ou d'un animal, rupture d'une corniche. décharge d'une branche d'arbre, passage d'un engin, surpression provoquée par le souffle d'un hélicoptère ou le passage d'un avion ..... )
Diminution de laforce résistante de cohésion
Lorsque la neige évolue, les métamorphoses modifient la cohésion de la neige et donc la force en question. La neige fraîche qui par «cohésion de feutrage» tient sur des supports verticaux, tombe d'elle même au bout de quelques heures. La chaleur du soleil au printemps destabilise la neige des versants qui se déchargent alors les uns après les autres en fonction de leur orientation.
Ainsi comprend-on qu'une pente stable un jour peut, le lendemain, être instable du fait de nouvelles conditions. L'analyse de la stabilité du manteau neigeux sera toujours à réévaluer.
Le lecteur se reportera à la bibliographie de la fiche n° 1.1 et à la bibliographie générale. |