8.1 - Les miraculés de la neige
Voici trois exemples parmi les plus saisissants : l'histoire d'un jeune suédois qui a survécu pendant sept jours, celle du guide Pierre Paquet qui s'est dégagé tout seul d'une grosse avalanche de neige fraîche et celle d'une touriste canadienne qui, en état d'hypothermie a été retrouvée vivante 44 heures après sa disparition.
SEPT JOURS PRISONNIER DE L'AVALANCHE RESCAPÉ DE L'AVALANCHE DE LA PILATTE |
Il existe fort heureusement des cas d'accident d'avalanche qui défient les statistiques et n'obéissent pas à la fameuse courbe de survie (voir la fiche n° 1.4). On peut dire qu'après 5 heures sous la neige, ou enfouis sous plus de 3 mètres de neige, les disparus sont «statistiquement morts» ! Ceux qui échappent à cette règle peuvent être, grand bien leur fasse, considérés comme des miraculés.
SEPT JOURS PRISONNIER DE L'AVALANCHE
Voici l'extraordinaire récit de ce sauvetage, extrait du texte écrit pour la revue «Neige et Avalanches» par André Roch, le «Père des Avalanches» comme les spécialistes étrangers l'ont souvent appelé, récit tiré d'une communication de Eriksson et Skoog présentée au Xème Congrès de la Société de Traumatologie du ski (Obergurgl, Autriche, 1972).
Le jeune Evertt Stenmark, âgé de 23 ans, relevait dans la taïga ses pièges à perdrix en Laponie Suédoise. Il avait déjà quatre volatiles dans sa besace quand il est surpris par une avalanche de plaque qui l'emporte. Ses skis s'enfoncent, il tombe en avant. Il est immédiatement recouvert par 1,50 mètre de neige très compacte qui l'empêche de bouger. Respirer devient de plus en plus pénible si bien qu'il perd rapidement connaissance. De longues heures plus tard, il se réveille. L'air qu'il a expiré a formé une petite cavité devant son visage, mais ses jambes sont toujours prisonnières de la neige-béton. Il réussit peu à peu à libérer ses deux bras et à prendre son couteau avec lequel il creuse un espace autour de la tête.
Notre jeune trappeur n'a pas peur car il sait que l'on peut rester longtemps vivant sous la neige. Un de ses amis n'a-t-il pas été sauvé après trois jours d'ensevelissement ? De plus, il est fort bien vêtu, mais n'a pour toute nourriture que ses quatre perdrix crues. La chaleur de son corps fait fondre de plus en plus de neige autour de lui et sa prison s'agrandit. Il se rend compte alors qu'il est coincé contre un jeune bouleau dont il réussit à casser une branche de 70 cm de longueur. Il tente de lui faire traverser la neige qui a plus d'un mètre d'épaisseur. Avec un courage indomptable, deux jours lui sont nécessaires pour que la branche émerge de la neige. Il y fIxe alors un billet de cinéma et le bouchon de sa boîte de fart, signes non équivoques pour son frère qui le recherche. Il mange ses perdrix et quatre jours plus tard, son frère, revenu sur les lieux à tout hasard, découvre avec la surprise que l'on imagine, son astucieux signalement et peu de temps après, lui rend la liberté.
Bilan : quelques orteils en moins.
RESCAPÉ DE L'AVALANCHE DE LA PILATTE
30 avril 1959. Le prestigieux rallye international CAF-CAl s'apprête à rejoindre le refuge de la Pilatte, au pied de la face nord des Bans, au coeur de l'Oisans. Le gardien, Pierre Paquet et son aide, inquiets des 4 heures de retard dûes à la neige et au mauvais temps, décident d'aller à leur rencontre. Mais la tourmente et la brume les empêchent de voir au-delà de leurs spatules, et dès la première pente, ils sont emportés par une avalanche. C'est une énorme avalanche qui se développe sur 500 à 600 mètres de dénivellation, et qui fait sauter aux deux skieurs trois barres de rochers successives de 30 m, 2 m et 10 m.
Pierre Paquet sera le seul rescapé de cet accident. Dans une interview racontée à l'ANENA, il analysa très bien le déroulement des opérations. Par moment, il se sentait écrasé, à d'autres il pouvait respirer, à d'autres encore, il s'asphyxiait. Puis il y eut comme un roulement, et tout à coup, il se rendit compte qu'il flottait dans l'espace (le saut de la première barre de rocher). La pente étant très raide en dessous, la réception fut moins brutale que prévue. Bientôt, l'avalanche se figea. «J'étais enseveli dans la neige, et instinctivement, je me suis débattu comme une bête. L'avalanche était formée de boules qui n'étaient pas soudées et en me débattant, j'ai vu le jour ... Mes mains avaient crevé la surface de la neige et j'ai d'abord respiré un grand coup. Mais impossible de bouger mes jambes. J'avais perdu mon béret et mes gants dans l'avalanche, et à force de gratter la neige j'avais l'onglée. Alors, j'ai pensé à mon «opinel» que j'avais dans la poche. J'ai pu découper la neige en petits cubes et l'évacuer dehors. J'ai mis 2 heures et demi ou 3 h pour me dégager. Je suis descendu au pied de l'avalanche pour chercher mon copain. J'ai zigzagué sur toute l'avalanche, suis remonté jusqu'en haut, en vain. Je l'ai cherché pendant au moins 2 ou 3 heures et j'ai abandonné à la nuit. Alors, avec l'entorse du genoux qui me ralentissait, je me suis traîné au refuge où j'ai passé la nuit seul.»
Le lendemain, son fils et son beau-frère, ignorants du drame arrivent sur le lieu de l'accident. Pierre Paquet leur crie d'aller chercher du secours. Ce n'est que le lendemain que le corps de son infortuné camarade est retrouvé juste à quelques mètres de sa propre prison de neige.
44 HEURES SOUS 1,50 MÈTRE DE NEIGE « BÉTON »
Voici une autre histoire qui avait fort mal commencé et qui s'est bien terminé.
Nous sommes dans la profonde vallée italienne de Macugnaga, qui aboutit au pied de la grandiose face est du Mont Rose (4636 m). D'énormes quantités de neige sont tombées les jours précédents, et cinq touristes canadiens dont un couple, ayant peur de se retrouver bloqués et de rater leur avion, décide contre l'avis des locaux, de descendre à pied au village plus bas. A la sortie d'une galerie paravalanche, une coulée secondaire emporte la femme qui disparaît complètement. Le mari part donner l'alerte. L'accident a lieu à 11 h 50 (le 11 mars 1972), l'alerte est donnée à 13 h et une caravane de secours est sur les lieux à 13 h 55. Une équipe cynophile arrive à 14 h 30 et travaille sans résultat (la neige étant très dense et ne laissant filtrer aucune odeur vraisemblablement pendant les premières heures). Les recherches sont abandonnées à la nuit, reprises le lendemain avec le même chien toujours sans succès. Le responsable du secours, Renato Cresta, fait venir de fort loin une équipe cynophile très performante. Mais les routes sont coupées, et finalement " Zacholl, le chien de Mr. Borgna entre en action le troisième jour à 6 h 40. Environ 40 minutes plus tard, la victime est découverte sous un mètre cinquante de neige.
Elle est à demi consciente, très pâle, trempée. Son pouls et sa respiration sont perceptibles. Elle est dans un état d'hypothermie profonde et il est grand temps de la sortir. Son sac, énorme (plus de 14 kilos d'après le rapport des secouristes) a contribué à l'entraîner au fond de la neige. La victime, qui n'a pas trop cédé à la panique, s'est creusé à l'aide d'une carte de crédit et de son porte-monnaie qu'elle portait dans une poche ventrale, une cavité devant le visage. Plusieurs fois elle s'est endormie et perdit ainsi la notion du temps. Lucide, elle comprit que sa dernière heure était arrivée, ses jambes étant inexorablement prises dans un carcan de neige.
Bilan : Zacholl et son maître furent invités au Canada et furent des héros fort populaires de la télévision...
Lire dans les revues de l'ANENA « Neige et Avalanches » le récit de l'accident de Pierre Paquet (n° 3, janvier 1973), le rapport de Renato Cresta consacré au sauvetage de la Canadienne (n° 5, octobre 1973) et le truculent récit d'André Roch pour l'accident du jeune suédois (n° 10, avril 1975). Voir aussi le récit de Raoul Mathieu racontant le premier sauvetage réussi avec un ARVA «L'avalanche n'a pas voulu» publié dans le n° 21 (déc. 79) de l'ANENA et dans le n° 24 de la revue « Alpes-Dauphiné-Savoie » |